Au fil des générations

CHRONIQUE  DU  24 AOUT  1944

 

…ou de l’insouciance à l’inquiétude

 

Ce fameux après-midi du 24 août 1944 nos joyeux ébats dans le bassin devant la maison ont été brutalement interrompus par le fracas des explosions d’obus provenant de la rive gauche de l’Isère, nous obligeais de descendons tous à la cave.Tous les enfants, qui séjournaient alors à Biviers avec l’insouciance propre à leur âge, ne sont pas prêts d’oublier cet énorme vacarme, d’autant plus que la façade de Serviantin a gardé la trace de l’impact de très nombreux éclats jusqu’au tout début des années soixante. Il s’agissait des tirs ultimes de l’artillerie allemande visant à fixer les forces américaines à l’entrée de Montbonnot, au terme de la contre-offensive ennemie sur Gières, tenue en échec  par la Résistance et les Américains. Entre cinq et dix obus sont tombés sur la propriété, dont deux à proximité immédiate du château, l’un entre le « jet d’eau » et la façade et l’autre (le dernier reçu) qui explosa dans les branches de l’un des tilleuls entourant la statue de Vénus.

 

Cette péripétie mouvementée s’est inscrite dans le processus extrêmement rapide de la Libération de Grenoble (21-22 août 1944), puis du Grésivaudan. Dès le 6 juin en effet tous les maquis avaient reçu l’ordre du général Kœnig, chef des FFI, d’intervenir militairement contre les forces allemandes, ce qui se traduisit sur place par une véritable bataille des voies de communication visant à piéger, le moment venu, la Wehrmacht dans la cuvette grenobloise.

 

Au demeurant, la configuration locale de la vallée de l’Isère, enserrée entre la chaîne de Belledonne et le massif de la Chartreuse, rendait particulièrement efficace toutes les actions de destructions, de sabotages et d’embuscades sur la nationale 90 (rive droite) et la départementale 523 (rive gauche), comme sur la voie ferrée reliant Grenoble à Chambéry.

 

C’est ainsi que fut détruit le 5 juillet le pont de Corbonne, à l’entrée de Saint-Ismier, par les membres de l’armée secrète de cette commune et sous la protection des Groupes Francs du commandant Nal et de son adjoint Requet, sabotage qui provoqua en pleine nuit une énorme détonation dont beaucoup d’entre nous ont gardé le souvenir. Dès le lendemain, les troupes allemandes, qui commençaient à évacuer Grenoble, en étaient réduites à emprunter le chemin longeant le parc et montant à Biviers, avant d’utiliser exclusivement la départementale 523. C’est précisément cette dernière voie de communication qui allait être le théâtre de l’ultime combat d’arrière-garde de la 157ème division d’infanterie allemande de réserve, de triste réputation dans notre région.

 

 

Le bombardement allemand que nous avons subi le 24 août, de 16 heures à 20 heures environ, était d’autant plus inattendu que, peu après la Libération de Grenoble, nous étions allés, à la rencontre des troupes américaines à l’entrée de Montbonnot avec un panier plein de raisins du jardin… Il s’est inscrit dans le cadre d’une contre-offensive ennemie.

 

Augustin Jacquemont, septembre 2025